Notes sur l’art plastique contemporain

Culture
Dev Web
Editor Made in Marrakech
19 octobre 2008

Plus qu’hier, l’art plastique au Maroc connaît aujourd’hui un véritable essor. Cette activité artistique est en passe de voler la vedette à toutes les autres : littéraire, dramatique, cinématographique… <BR>

Art contemporain, art actuel : Avant de parler de l'art plastique contemporain au Maroc selon ses différentes significations et représentations, un mot sur ce qu'on appelle généralement art contemporain : c'est ce qui nous est proposé sous ce label par des institutions spécialisées telles que les musées, les fondations, les centres publics et privés, les publications. C'est une réalité effectivement contemporaine de nous-mêmes, que nous vivons aujourd'hui, mais c'est tout ce que l'on peut dire. Une réalité qui appartient aux modes et aux phénomènes de société.

Elle peut de ce fait nous intéresser ou nous ennuyer. De toutes façons, rien ne nous garantit que l'avenir reconnaîtra dans ce que proposent ces institutions d'art contemporain des années 80 ou 90 du siècle passé par exemple le véritable art important des périodes que nous venons de traverser. Mais espérons tout de même que cet avenir retiendra quelques-uns de nos créateurs à nos yeux considérables, qui demeurent parmi nous et que les institutions auto inféodées ne veulent pas encore reconnaître.

Art contemporain rime donc avec art actuel pris sous la tutelle d'un historicisme officiel, qui a parfois l'air de mélanger les valeurs et d'avaler n'importe quoi.

Pour le cas marocain, l'art contemporain s'inclût forcément dans l'appellation générale d'art moderne. C'est un art d'obédience occidentale, lié à ses débuts au colonialisme qu'à connu le Maroc jusqu'en 1955, colonialisme qui, grâce lui en soit rendue (c'est une façon de parler), introduit tout en la reproduisant l'image de l'art tel que vécu et institutionnalisé en France : construction d'écoles d'art, enseignement et éducation artistiques, galeries d'exposition, etc.

A l'inverse des pays occidentaux, le Maroc comme beaucoup d'autres pays arabes et africains n'a pas connu le même développement historique de l'art. Il n'a pas connu le classicisme, ni le romantisme, ni aucune des écoles anciennes dont sont issus maints autres mouvements plastiques : l'art baroque, le symbolisme, l'impressionnisme, etc. L'art plastique au Maroc est à la fois moderne et contemporain, moderne, il ne peut que l'être, contemporain, c'est selon que la plupart de nos artistes qui en ont jeté les bases vivent encore.

Depuis qu'ont ouvert les premières écoles des beaux-arts (à Casablanca et à Tétouan s'entend), cela fait maintenant un peu plus de 50 ans. C'est certainement fort peu pour attribuer à la formation artistique marocaine un mérite ou une valeur historique à 100%. A la place, nous parlerons de techniques d'approche, de la conception moderne d'une toile, de sa représentativité sociale, sa valeur marchande, la nature de sa clientèle.

Aujourd'hui encore le cadre socio-économique d'un objet d'art est à peine en train de se préciser. Et il n'y a pas plus de 10 ans qu'on a commencé à parler d'un marché d'art au Maroc, dont les premiers bénéficiaires restent les collectionneurs et les banques, c'est-à-dire les particuliers dont le goût, chez certains, est motivé par des idées de placement et de « commercialisme ».

Côté galeries, nous assistons aujourd'hui et par voie de conséquence à un phénomène explicable et, somme toute, louable en soi, celui du nombre de salles d'exposition qui se sont ouvertes à Marrakech surtout, comme :
- Galerie Rê,
- La Quobba,
- Galerie Noir sur Blanc,
- Galerie Artes Mundi et aussi dans d'autres villes du Royaume.

Alors que d'autres ont fermé, les plus anciennes, celles qui ont assisté et encouragé les premières palettes et qui, avec le recul et cela dit par analogie apparaissent maintenant avoir eu plus de flair quant aux critères de choix pour faire valoir un travailÉ Cela est lié à l'émergence sur la scène de nouveaux talents mais aussi à une concurrence mercantile entre les galeristes/marchands d'art, attirés par le gain et qui jouent volontiers le jeu de la promotion au risque parfois de montrer n'importe quoi ! Ainsi de certains noms qui défrayent aujourd'hui la chroniqueÉ

Parler de l'art contemporain au Maroc revient à prendre en considération toutes ce données et à poser ou reposer la question fondamentale de la création. N'ayant pas derrière lui une longue histoire calculable en termes de cumul, capable de nous permettre d'y voir clair, l'art marocain n'a que le présent, un présent qui dure depuis des décennies.

Dans cet intervalle de temps reviennent toujours les mêmes noms dont les deux tiers sont des abstraits (bien que nombre d'entre eux aient fait de la figuration à leur début) : A. Cherkaoui, J. Gharbaoui, F. Belkahia, M. Kacimi, M Bennani Moa, K. Bennani, A. Rabii, H. Miloudi entre autres. Et des semi abstraits. Le un tiers restant est soit figuratif, semi-figuratif ou naïf. Pêle-mêle : Chaïbia Tallal, H. El Glaoui, M. Ben Allal, A. Zine, A. Ben Yessef, B. Lakhdar, A. Demnati, A. Bendahmane, A. Rahoule, H. AlaouiÉ A côté a fleuri une série de palettes s'inspirant de la calligraphie arabe.

L'abstraction, question de forme ?! L'abstraction au Maroc a surtout privilégié la forme. C'est un art de la forme, de la mise en forme. Elle est d'inspiration géométrique ou elle focalise sur le signe, avec une tendance primesautière au graphisme. Chez A. Cherkaoui, cela a été dit et redit, elle se résume en une quête d'identité à travers le signe amazighe ; chez Gharbaoui, elle est gestuelle et lyrique et, par hasard, fait penser ensemble aux artistes Hartung et Mathieu. Chez Belkahia, elle se veut une subversion des formes héritées de l'artisanat (un certain artisanat) à des fins d'expression corporelle et de sensualisme.

Chez d'autres, l'abstraction est écriture de la lumière dans un espace fantasmé ; elle cible en premier lieu la composition et reste la plupart du temps un arrangement plus ou moins harmonieux (M. Labied, F. Bellamine, Melehi, etc.) En gros, l'abstraction au Maroc s'avère être un champ d'expérimentation ouvert à toutes sortes d'investigations. La liberté du mouvement et la nature de la couleur commandent l'essentiel de la création.

Elle admet toutes les propositions plastiques pour peu que soit évitée la représentation. Ses profonds mobiles sont d'ordre esthétique, sinon elle demeure une espèce d'exercice cérébral dont le travail sur la couleur essaie de valider l'aspect singulier (qui n'est pas toujours poétique). Dans l'ensemble, telle que pratiquée par nombre d'artistes jeunes et moins jeunes, l'abstraction autorise toutes les formes pourvu qu'elles s'écartent un tant soit peu des sentiers battus.

La figuration : « réalismes » tous azimuts C'est, à notre sens, dans la peinture figurative et semi-figurative que l'art contemporain au Maroc a trouvé sa meilleure formulation. Aujourd'hui d'ailleurs, on assiste partout en Occident à un retour spectaculaire à la figuration, retour qui a été fêté cette année chez nous lors d'une exposition collective à Rabat organisée par ceux-là mêmes qui tantôt voyaient dans l'abstraction la forme d'art la plus expressive. Retour qui, au fond, ne dit pas grand-chose sur le plan historique, sinon cela risque de n'être qu'un un virage à 180° propre à basculer dans le suivisme et la sensiblerie.

Nos vrais figuratifs font plutôt dans la continuité, une continuité qui s'inscrit dans la mémoire locale tout en tendant vers l'universalisme ; elle essaie de mettre en valeur une certaine originalité conceptuelle et structurelle en orientant le matériau dans le sillage d'une représentation du réel non pas tel quel, mais comme sait le voir l'artiste seul Nous avons ainsi de véritables virtuoses en la matière. Bien sûr, chacun des artistes procède à sa façon et puise dans le registre qui lui est propre ; mais tous, à des différences près, cherchent à exprimer ce que nous appellerons les multiples visages de la « nature » marocaine.

Dans leurs Ïuvres transparaît la richesse intrinsèque des êtres et des choses. Peinture pleine d'enseignements, elle interpelle l'homme dans son cadre, célébrant son mode de vie, ses rites, ses différentes manifestations quotidiennes. Son contenu est en adéquation avec ses exigences formelles et son « réalisme » est conséquent à l'entendement. A l'appui, les travaux figuratifs et semi figuratifs des artistes susmentionnés, auxquels s'ajoutent ceux, non des moindres, de Mahi Binebine , Lahbib M'Seffer, Rachid Sebti, Houcine Tallal, Mohamed. Krich, et d'autres.

L'art naïf, un don du ciel ( !) Les peintres dit naïfs (Fatima Hassan, M Ben Allal, A. Lourdiri, F. Gbouri, B. Regraguia par exemple) privilégient la couleur qui reste pour eux l'essentiel de ce qu‘il y a à faire en fait d'art. Leurs sujets ne dénotent aucune originalité notoire, celle-ci restant affaire de texture et de composition, sauf chez My Ahmed Drissi dont certaines Ïuvres classées comme étant naïves en appellent à une approche plutôt symbolique.

Profondément ancrée dans la tradition, pratiquée le plus souvent par des autodidactes, c'est-à-dire des ici des gens illettrés, la peinture naïve présente un volet spécial dans l'art marocain. En elle s'exprime surtout une sensibilité nostalgique, une sort d'évasion dans un imaginaire traditionnel qui prend les couleurs tendres du souvenir.

S'y dévoile parfois un souci de narration sur le mode fresquiste ; c'est une peinture de lieux et de personnages perpétuant des habitudes figées ; elle introduit volontiers des notes florales en adéquation avec les autres motifs. Le peintre naïf n'intellectualise pas son travail qu'il considère comme un don du ciel et qui ressemble pour lui à un rêve d'enfant empreint de joie et de sérénité, une manière de rêve éveillé, figuré souvent de manière minutieuse et frappante.

La calligraphie, une abstraction atypique La calligraphie participe de manière effective et souvent distinguée au mouvement créatif général. Les artistes qui l'ont adopté (ils ne sont pas légion), à savoir Abdallah Hariri, puis Mehdi Qotbi, plus tard Mohamed Boustane, Noureddine Daif Allah, Larbi Cherkaoui, pour ne citer que les plus performants, développent une gestualité moderne tout en gardant à la lettre sa personnalité et son secret de signe abstrait.

Ces artistes n'ont de cesse de libérer la lettre de son graphisme normatif, guindé, d'un cadre sémantique devenu inepte, pour exprimer le mouvement dans son faste et l'installer dans un espace géré de manière recherchée. Les couleurs employées à cet effet, pigments ou peinture proprement dite, servent de toile de fond et harmonisent un rendu que l'artiste s'emploie à personnaliser.

L'art calligraphique au Maroc recourt de plus en plus à la couleur au point que, de la lettre, il ne reste plus que la trace. Le travail penche alors allégrement vers une abstraction atypique, qui fait parler à la place un langage codé de formes, de contrastes et de profondeur. Chez certains calligraphes non cités, le lettrage est magnifié et esthétisé à l'excès, absorbé par un chromatisme déferlant. Signe des temps ou abdication volontaire devant les impératifs du marché ?! La question se pose, en tout cas.

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19 octobre 2008