Les secrets des herboristes de la médina
- Un commerce séculaire et florissant. - Remèdes inoffensifs ou recettes toxiques... tout y est. - Des plantes «dangereuses» vendues librement. Des odeurs de toutes sortes, des épices, des plantes, des racines séchées... Le quartier des herboristes dans la médina de Marrakech est impressionnant. De fait, on peut y trouver près de 145 espèces végétales, témoins du riche patrimoine du pays. Entre les échoppes des aâchabas (herboristes), on déambule avec volupté. On sent, on admire, et l'on cherche à découvrir les secrets de ces herbes. D'abord le nom est évocateur: Rahba Lakdima (l'ancienne place). Ce qui suppose une activité ancestrale.
On trouve aussi des herboristes à Talâa ou encore à Bab Lekhmis. Bref, un peu partout derrière les murs de l'ancienne ville, l'activité perdure. En effet, dans les dédales des ruelles qui s'entrelacent, animés d'une agitation particulière, les secrets des herboristes continuent de fasciner et contribuent, à leur manière, à l'évolution de la médecine moderne. Particulièrement à Marrakech et dans sa médina, leurs activités ne sont pas exclusivement destinées aux touristes. Derrière les murs, on retrouve des parfumeurs (Attara), des fqihs, des arracheurs de dents, des marabouts et plusieurs autres activités destinées au service de la population locale. Et le charme de la médina provient justement de cette animation que procure le va-et-vient chez les herboristes. Ici, c'est une clientèle mélangée que l'on voit tous les jours : ancienne et jeune générations se côtoient, la seconde n'hésitant pas à demander conseil à ses aînés. Mode oblige, l'herboristerie reprend du poil de la bête. Au grand profit des professionnels qui apprécient ce regain d'intérêt. « Aujourd'hui, les jeunes se rendent comptent que les anciennes recettes sont bonnes », affirme l'un d'entre eux, qui aussi sert de confident à ses clients. Des clients qui n'hésitent pas à lui confier leurs maux et difficultés de l'existence. Et c'est avec le sourire, et un air entendu, qu'il va leur préparer un remède dont il a le secret.
Dans le quartier juif, le Mellah, pour la trentaine d'herboristeries qui y sont présentes, les demandes sont plus focalisées sur les symptômes du XXIe siècle : stress, constipation, toux permanentes, bronchites, mal de dos et rhumatismes... Des maladies que la médecine traditionnelle peut aussi guérir aisément grâce à la camomille (babounj), le carvi (carouia), le lentisque (drou), etc. Pour quelques dirhams, on peut soigner n'importe quelle maladie. Comme ce jeune homme de 35 ans qui se plaint de maux de tête fréquent et auxquels la médecine moderne n'a trouvé aucune solution. Le aâchab lui concocte un traitement qu'il devrait boire en infusion plusieurs fois par jour. Quand on lui demande ce qu'il a mis, il prend subitement un air indéchiffrable. « Les secrets sont transmis de père en fils. C'est une pratique qu'il faut maîtriser pour ne pas mettre en danger le patient », dit l'un deux. Selon des médecins, s'il est vrai que les herboristes traditionnels utilisent pour certaines recettes des plantes médicinales auxquelles la médecine moderne a souvent recours dans la composition des médicaments.
« Les aâchabas ne maîtrisent pas toutefois les dosages et peuvent parfois utiliser par inadvertance des plantes nuisibles », souligne la doctoresse Samira Azouhri, anesthésiste à l'Hôpital Mamounia de Marrakech. Elle cite l'exemple du harmel, une matière néphrotoxique qui détruit les cellules rénales, mais que les herboristes traditionnels l'utilisent dans leurs recettes. Autre produit souvent utilisé, la kharchacha que certaines nourrices recommandent pour le bébé « qui crie trop fort le soir ». Cette plante, très toxique, a des effets néfastes sur le cerveau de l'enfant. La maman n'y voit que du feu : son bébé s'arrête de pleurer et dort. Elle croit alors sérieusement que le produit a eu des effets positifs, alors qu'il peut provoquer un coma. Autre plante, aussi très dangereuse : le takaoute, substance utilisée par les femmes pour se teindre les cheveux. C'est aussi une substance cardiotoxique vendue librement chez les aâchabas. « C'est un produit utilisé par les personnes qui veulent mettre fin à leurs jours », ajoute Samira Azouhri.
« Mais l'herboristerie marche aussi, car beaucoup de gens n'ont pas les moyens d'aller chez le médecin », répond un aâchab. « Du reste, les produits naturels recommandés par les herboristes ne sont pas dangereux, alors que la consommation de médicaments a, elle, des effets secondaires », affirme une adepte des soins à base de plantes. Enfin, le succès des aâchabas s'explique l'engouement pour la sorcellerie qui a toujours de beaux jours devant elle. Les gens sont de plus en plus demandeurs de « recettes » pour séduire l'être aimé, voire jeter un mauvais sort à la voisine acariâtre. Des remèdes quelque peu corsés et réalisés à base d'herbe et d'animaux séchés (oiseaux, caméléons, hérisson, lézards, serpents etc.) Pour une somme conséquente, on peut avoir de la cervelle d'hyène, le nec plus ultra pour envoûter quelqu'un